Le livre Yoga d'E.Carrère méritait mieux que "le petit bout de la lorgnette" s'attardant sur le conflit avec son ex-épouse , tel qu'il s'est répandu dans les médias. La littérature aide à vivre, la méditation aussi. La question importante à cet égard (une des) posée par le livre est celle-ci:
La méditation est-elle nombriliste ?
J’ai découvert la méditation au cours d’une retraite « Vipassana » de 10 jours telle que la décrit E. Carrère dans son livre YOGA . Il y a 35 ans . Une expérience qui sépara ma vie en deux : celle d’avant, et celle d’après . Deux mondes.
C’est dire si j’ai lu ce livre avec un grand intérêt , et , si je l’ai trouvé admirable et poignant, de par l’intégrité, l’humilité, et la conscience fine et profonde de l’auteur, j’ai regretté aussi une insuffisance d’informations qui mérite à mon sens quelques précisions dans la mesure où cela a pu générer dans les medias des interprétations telles que « la méditation, c’est quand même se contenter de regarder son nombril », notamment eu égard aux attentats de Charlie qui se sont déroulés au même moment et dont les retraitants ne furent pas informés.
Cette interprétation est , à mon sens, grave, car largement diffusée (ex. l’émission par ailleurs remarquable de C à vous, entre autres ) et véhiculant ainsi un A-priori -Repoussoir pour nombre de personnes qu’elle pourrait aider. Car la méditation, oui, peut aider à vivre .
Au fil des pages du livre d’E.C, dans la partie décrivant son vécu de cette pratique , j’ai ressenti très vite une profonde jubilation . Certes, des textes sur ce sujet, j’en avais déjà parcouru un grand nombre , mais jamais n’avait résonné avec une telle intensité la justesse d’un propos sur un sujet si peu commode pour nous Occidentaux , son authenticité, , sa liberté, en dehors de toute volonté de convaincre, de dresser un autel ou claironner une leçon de vie , comme sont souvent tentés de le faire les nouveaux adeptes de ce qui est devenu en Occident, il faut bien le dire , une mode. Mais ni une complaisance narcissique, ni une panacée, exprime simplement l’auteur : la méditation , « c’est ça pour moi », y compris ses pièges et ses ratés, en réussissant ce tour de force de nous faire entrer , en se mettant à nu, dans la profondeur de « l’humaine condition » , comme dit Montaigne.
Mais les limites d’une telle pratique ont semblé sauter aux yeux d’une critique naturellement suspicieuse : E. Carrère raconte comment il a été « extirpé » du groupe de méditants ,contrairement au contrat accepté avant de s’engager pour 10 jours de retraite silencieuse, « coupé du monde » sans téléphone , ni écrans, ni écrits, ni aucun lien possible avec l’extérieur . Son amie , compagne de B.Maris tué dans l’attentat , ayant demandé sa présence pour témoigner aux obsèques. Suit alors le récit de sa stupéfaction, de son saisissement, bien compréhensibles, lors de son transport à l’aéroport où il apprend par le chauffeur de taxi la tragédie des attentats, dont il ne savait rien, dont il n’aurait rien su s’il était resté comme prévu, tout comme les autres méditants toujours dans leur « bulle » artificielle…
Comment cela ne poserait-il pas problème ?
Un tel évènement portant tragiquement atteinte aux fondamentaux qui nous constituent, qui ont été façonnés durement dans l’histoire humaine, dans lequel des personnalités phares de la liberté d’expression ont été assassinées, un tel évènement ne peut que mobiliser immédiatement les consciences, les cœurs et les actions de chacun. Certes. Et la tentation est immédiate de traduire aussitôt l’attitude des méditants en termes d’égocentrisme coupable, de manque inquiétant d’empathie, de désolidarisation du socle humaniste commun. « Regarder son nombril » pendant que les gens tombent sous les balles….
Alors pour comprendre ce qui paraît de prime abord injustifiable, il faut donner quelques explications sur cette méthode.
Celle de la durée de 10 jours d’abord, durée incompressible , et ce n’est pas pour rien. Des techniques de respiration et de visualisation sont enseignées méthodiquement et progressivement pendant ces 10 jours , dans le silence absolu (sauf un entretien possible avec les enseignants en cas de difficultés), sauf le 10ème jour où la parole et les échanges sont à nouveau possibles, pour se réhabituer à la vie sociale en quelque sorte. Il est recommandé au départ de bien réfléchir avant de s’engager pour être sûr de pouvoir décider de la durée de 10 jours On nous met en garde , longuement, car nous dit-on, il est fermement déconseillé d’interrompre la retraite en cours. Un tel arrêt pourrait être très dangereux pour l’équilibre psychique. Un peu comme si, sur le plan physique, on quittait la table d’opération au cours d’une intervention chirurgicale. Voilà pourquoi l’on s’engage pour 10 jours en respectant ce protocole. Les participants savent, le plus souvent, quels sont les effets souvent avérés d’une retraite ( guérison des addictions, stabilité émotionnelle, équilibre , mieux-être.. … etc…) il faut dire aussi que les retraites (appelées « cours » , (et ce sont en effet des enseignements ) se déroulent toujours exactement de la même façon, qu’il n’y a pas de différence faite entre débutants/avancés , qu’on n’a jamais de comptes à rendre à qui que ce soit, que la 1ère retraite est gratuite, et les suivantes selon le principe du don libre). Les bienfaits dépendent de ce protocole complet, dont la durée de 10 jours,qui a fait ses preuves. Il est alors légitime de se demander si cet isolement, cette mise à l’écart des grands et graves problèmes du monde, est critiquable ou pas… On peut d’abord poser la question : « qu’est-ce que cela aurait changé ?» si les méditants avaient été informés des évènements graves qui secouaient le monde…. Certes, c’est un élan du cœur qui nous meut comme dans tout deuil sans qu’il soit question de changer l’inéluctable. Mais là il faut situer la règle dans son contexte. Et alors, soit on reconnaît le principe et la méthode, et l’on accepte cette « chose bizarre » et difficilement acceptable du retrait social, soit l’on n’accepte pas le retrait social (temporaire) et dans ce cas on renonce à la pratique. D’ailleurs, oui ce n’est pas la seule manière de s’apaiser et de guérir ses plaies, il y a mille autres manières et expériences de vie, et certaines personnes n’en ont pas besoin, naturellement en paix avec elles-mêmes et avec le monde.
Pour ma part, je n’ai pas trouvé de moyen aussi radical, simple, naturel, discret, gratuit, à-emporter-partout-et-tout-le temps-avec-soi, pour venir à bout sans inconvénient de divers poisons de l’existence et se mettre en chemin vers un peu plus d’humanité. Mais que chacun choisisse ce qui lui convient, sans porter de jugements hâtifs envers des options différentes.
J’ai souvent été éclairée et aidée dans ma vie par cette réflexion attribuée à Marc-Aurèle : « Changer ce qui peut l’être, accepter (et non cautionner) ce qui ne peut pas l’être, et cultiver la sagesse de distinguer les deux »…
Oui, qu’est-ce que cela aurait changé ?
Et a-t-on raison de dire que méditer c’est s’occuper égoïstement de son nombril ?
Si l’on considère les tragédies sociales qui sont monnaie courante dans nos sociétés -conflits et violences de tous ordres, meurtres, suicides. …-, les maladies du désespoir qui souvent les engendrent – alcool et addictions de toutes sortes..(voir note) -, force est de constater que les pratiques méditatives, en apaisant les cœurs et les esprits, sont des vecteurs de pacification sociale, dont le monde a soif .
C’était le sens de l’injonction de Gandhi « Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » Alors je crois que sans hésiter, l’on peut réfuter la critique soulevée ci-dessus. Elle n’est pas fondée. *********** Notes : France : 9000 morts par suicides/an (24/jour) (source : Santé Publique France- 2019) 41000 morts dues à l’alcool (109/jour)(source : Sciences et avenir 2019) 75000 morts liés au tabac(France Info 2019) 146 féminicides en 2019 ()Le Monde-2020)
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